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Gabon D'abord
26 novembre 2005

présidentielle 2005 Gabon, La bande à Bongo

Etonnant destin que celui de Joséphine Kama. Mariée et mère de famille dès l'âge de 14 ans, elle s'est retrouvée sacrée "première dame du Gabon" quand son époux, Albert Bernard Bongo, de dix ans environ son aîné, a été propulsé à la tête du pays le plus légalement du monde.
C'était en novembre 1967, et Joséphine avait dépassé de peu la vingtaine.

Quarante ans plus tard, elle est toujours une femme hors norme. Elle a divorcé depuis longtemps du chef de l'Etat. A l'image de sa mère, elle a repris le métier de chanteuse et son nom de scène, Patience Dabany, sous lequel les Gabonais la connaissent. Ses enregistrements se comptent par dizaines. Son prochain album de musique africaine sortira début 2006. Elle s'est produite à L'Olympia, à Paris, et dans les principaux music-halls d'Europe et des Etats-Unis, pays où elle a vécu après son divorce.
Patience Dabany n'a pas vraiment tourné la page des "années Bongo". La chanteuse reste une militante politique. En novembre 2005, comme les fois précédentes, elle a participé à la campagne présidentielle pour le compte de son ex-époux, le président sortant. Membre dirigeant du Parti démocratique du Gabon (PDG), le parti au pouvoir, elle a même été en première ligne, chargée d'une mission précise : faire la tournée des marchés et des petits commerces à travers le pays pour convaincre les femmes de voter en faveur d'Omar Bongo.
Longs cheveux roux tirés en arrière, de petite taille, un peu forte, Patience Dabany évoque sans états d'âme son ancien mari, qu'elle croise le plus souvent "lorsqu'il y a des malheurs, des obsèques". Omar Bongo Ondimba (le nom officiel du président depuis qu'il a quitté la religion catholique pour l'islam) "a toujours été un très bon père de famille et un mari excellent", dit-elle. Les infidélités à répétition du chef de l'Etat — père de plusieurs dizaines d'enfants, selon la rumeur publique — ne l'ont jamais troublée.
Lui, dans un livre d'entretiens (Blanc comme nègre, Grasset, 2001), voyait dans ses incartades "un signe positif de vigueur et de forme physique". Elle, l'épouse délaissée, se veut fataliste. "On ne peut pas contrôler un homme. Ils sont tous pareils", tranche-t-elle. Quant au bilan politique du chef de l'Etat, 70 ans le mois prochain, elle le résume en une phrase assortie d'une question : "Depuis que Bongo est au pouvoir, le Gabon est calme. Qu'est-ce qui va se passer quand il sera absent ?" Patience Dabany n'a pas déserté la tribu du président. "Je fais toujours partie de la famille du président", assure-t-elle.
Elle a sans doute raison, et personne ne la démentira dans un pays faiblement peuplé (1,3 million d'habitants au maximum), riche de pétrole, de manganèse, d'or et d'une forêt exceptionnelle. Un pays de cocagne où le président, au fil de près de quarante années de pouvoir ininterrompu, a placé au coeur de l'Etat les rejetons d'une famille pléthorique. Fils, filles, neveux, nièces, cousins, gendres du chef de l'Etat... Ils sont nombreux à la présidence comme au gouvernement, dans l'administration centrale, le monde économique ou les médias. Dans aucun pays du continent africain la mainmise n'est aussi flagrante. La famille Bongo et ceux qui lui sont liés constituent un monde inévitable.
C'est d'abord vrai à la présidence, où Omar Bongo a fait de l'aînée de ses enfants, Pascaline Bongo, la directrice de son cabinet. Elle est la personne-clé pour qui souhaite rencontrer le chef de l'Etat. Discrète, très intelligente, ses fréquents déplacements à Paris et à New York lui valent d'être cataloguée, à tort ou à raison, "gestionnaire de la fortune paternelle" — laquelle est réputée considérable depuis la découverte, en 2000, d'un compte bien approvisionné à la Citybank (140 millions d'euros).
Impossible d'évoquer Pascaline Bongo sans parler de deux ministres essentiels. Le premier est son mari, Paul Toungui, ministre de l'économie et des finances. Mathématicien de formation, universitaire de profession, cet homme secret, réputé bon gestionnaire (la hausse des cours du pétrole aidant), est aussi l'un des barons du parti du président, où il anime l'un des courants les plus influents.
Le second homme d'importance est Jean Ping, qui fut longtemps le compagnon de Pascaline. Depuis plus d'une quinzaine d'années, il est de tous les gouvernements. Seules changent ses attributions. Il a eu tous les portefeuilles stratégiques : les finances, le pétrole, actuellement celui de la diplomatie. Aujourd'hui, Jean Ping s'ennuie. Il a épuisé les charmes du gouvernement et lorgne sur une agence des Nations unies. Mais tous les postes de direction sont pourvus. Natif de Port-Gentil, la deuxième ville du pays, "M. Ex-gendre" a été chargé par le président candidat de reconquérir la cité pétrolière, fief de l'opposition. La tâche s'annonce difficile. Il y a quelques années, Jean Ping avait fait parler de lui en se faisant dérober près de 300 000 euros en liquide à l'Hôtel de Crillon, à Paris.
Autre figure d'importance au sein de la galaxie présidentielle, le fils, Ali Bongo. Il est ministre de la défense. Le portefeuille n'est pas des plus prestigieux dans un pays en paix avec ses voisins, où les effectifs de l'armée ne dépassent pas 10 000 hommes, toutes armes confondues. Ce sera pourtant un ministère essentiel, observe-t-on dans les milieux diplomatiques, en cas de vacance du pouvoir.
Le fait est qu'Ali Bongo, le "quadra", fils d'un premier lit du président, est souvent présenté comme un possible successeur du chef de l'Etat. C'est aller un peu vite en besogne. Omar Bongo est trop attaché au pouvoir, trop imbu de son importance, pour introniser un héritier. Et Ali Bongo ne fait pas l'unanimité. Cet enfant gâté au physique de rappeur, peu charismatique, n'a pas laissé le souvenir d'un grand diplomate quand il avait la haute main sur les affaires étrangères (un portefeuille confié, à une autre époque, à Martin Bongo, un cousin du chef de l'Etat).

L'actuelle épouse du président, Edith Lucie, occupe une position à part. Fille du chef de l'Etat du Congo, Denis Sassou, cette belle femme élancée, d'une trentaine d'années plus jeune que son mari, très active au cours de la campagne présidentielle, ne compte pas que des amis à la présidence. Il y a plusieurs mois, des tracts de bas étage ont circulé, la mettant en cause. L'enquête qui a suivi n'a pas permis d'en identifier les auteurs. Certains lui reprochent son affairisme. Diplômée de médecine, propriétaire d'immeubles — et, dit-on, d'une clinique à Libreville, la capitale —, elle a ses bonnes oeuvres : la lutte contre le sida, la défense des handicapés. Edith Lucie anime aussi une sorte de club des "premières femmes d'Afrique centrale".

La "famille Bongo" compte aussi d'autres cartes, des seconds couteaux installés à des postes d'importance, mais dont les noms apparaissent peu dans les colonnes du journal gouvernemental, L'Union, l'unique quotidien du pays.
Il y a Christian Bongo, un fils du président âgé d'une trentaine d'années, qui dirige l'une des principales banques du pays, la Banque gabonaise de développement ; son frère, Anicet Bongo, était jusqu'à ces derniers jours le directeur général du groupe de communication TVSat (dont la présidente du conseil d'administration n'est autre que Pascaline Bongo), qu'il a quitté pour gérer d'autres affaires familiales. Et puis Jeff Bongo, haut fonctionnaire du ministère de l'économie et des finances ; Hervé Ossamy, un gendre d'Omar Bongo, patron de Gabon Télécom, qui, après des années de gestion chaotique, est promis à une privatisation prochaine.
Et encore Marie-Madeleine Mborantsuo, ancienne compagne du chef de l'Etat, l'indéboulonnable présidente de la Cour constitutionnelle, qui aura à trancher en cas de contentieux au lendemain de l'élection présidentielle. Et combien d'autres... La nébuleuse est telle, ses ramifications sont si lointaines, qu'elle brouille les clivages politiques et ajoute à la confusion d'un Etat patrimonial qui vit de la rente pétrolière.
Ainsi, même l'opposition est apparentée à la famille du chef de l'Etat. L'exemple le plus emblématique est celui de Zacharie Myboto. Baron du régime pendant un quart de siècle, membre lui aussi de tous les gouvernements depuis plus d'une vingtaine d'années et patron du parti du président, ce dauphin trop impatient a rompu de façon spectaculaire avec "OBO" — l'acronyme pour Omar Bongo Ondimba.
En avril 2005, après des mois d'un divorce qui n'en finissait pas, il a créé son propre parti politique et se présente à la présidentielle du 27 novembre contre son parrain.
Si Zacharie Myboto n'a aucun lien de famille direct avec le chef de l'Etat, ce n'est pas le cas de sa fille, Chantal, une femme d'affaires. Chantal a eu une longue liaison (et une fille) avec Omar Bongo, dont elle était aussi la conseillère politique très écoutée au cours des années 1990 — au grand dam de la "première dame" officielle, Edith Lucie. Chantal qui avait la haute main sur la campagne du président candidat la fois précédente, en 1998.
Les liens ne s'arrêtent pas là. Une des soeurs de Chantal, Yolande, a épousé un neveu du président. Et une autre, Suzanne, devrait se marier avec Landry Bongo, élu député sous l'étiquette du parti de son père. Si Zacharie Myboto n'y avait pas mis son veto, le mariage aurait déjà été célébré. La date en a été repoussée à l'après-élection présidentielle.
Cet entrelacs de liens familiaux explique qu'aux yeux de nombre de Gabonais l'"opposant" Zacharie Myboto est tout prêt, sitôt proclamés les résultats de l'élection, à rejoindre la mouvance présidentielle — déjà forte de plus d'une quarantaine de partis politiques — et que tout rentrera dans l'ordre. Le petit monde politique gabonais est habitué à ce type de retournement de veste.
L'ancien baron du régime dément : "Jamais de la vie. Je continuerai mon combat", jure-t-il. Peut-être le fera-t-il. En revanche, personne n'imagine sa fille Chantal abandonner la lutte qu'elle a entamée contre le chef de l'Etat. Et surtout contre la "première dame" du Gabon.

Jean-Pierre Tuquoi

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